ISABELLE DUTHOIT

[I herewith kindly ask you to respect the authors rights especially of the interviewed musicians and not to use it without asking our permission. Thanks for your solidarity!]

CLH : „Depuis quand est-ce que tu vis à Vienne?“ 

ID : „On va dire que depuis six ans et demi, je fais les aller-retour. J’ai plutôt l’impression d’être à Paris et Vienne que d’être à Vienne tout le temps, parce que je voyage beaucoup.“

CLH : „Ok, alors mes questions : Qu’est-ce qui fait la qualité de l’improvisation ? Si tu écoutes, pas si tu joues, mais quand tu écoutes!“

ID : „La personnalité de la musique, déjà sentir l’individualité du musicien, sentir que c’est une musique qui ne peut ressembler à aucune autre parce qu’elle est partie prenante de la personne qui la joue. C’est en même temps son esprit, son corps, sa manière d’être avec un instrument, la manière de penser, la manière de vivre le son. C’est évidemment la forme. J’aime beaucoup quand les improvisations trouvent une forme. Que ça soit pas juste de la matière sonore et que cette structure invisible qui se crée en temps réel, pour moi, ça c’est une manière de permettre de comprendre plus globalement la musique. Parfois dans les improvisations, c’est très riche en matière, c’est très riche en évènement, mais on sent moins la dramaturgie du son ou la dramaturgie invisible, quelque chose qui n’a pas d’histoire vraiment, mais qui va de A à B et ça, c’est pour moi une très grande qualité pour moi. Quand j’écoute, quand je sens qu’on m’emmène quelque part, que le musicien vraiment a la personne, cette personnalité musicale m’a prise avec lui.“

CLH : „Et si c’est un groupe?“

ID : „C’est pareil. Enfin, que ça soit la musique d’un groupe ou la musique d’une…“

CLH : „La musique du groupe qui a une personnalité ? On pourrait dire ça?“

ID : „Oui parce que si chaque improvisateur a sa propre personnalité forcément le groupe à sa personnalité. Ça va ensemble. Et ce qui est beau, c’est de voir aussi parfois justement un musicien qui a une forte personnalité et selon les groupes où il est, même sa personnalité va être transformée par le son du groupe, mais sans se perdre, juste être prolongée ou transformée.“

CLH : „La communication ou la possibilité ou la capabilité d’un musicien d’être un bon communicateur c’est important pour la musique improvisée. La communication est-elle importante pour un musicien improvisateur?“ 

ID : „Tu veux dire la communication pendant l’improvisation ou avant ou après?“

CLH : „C’est justement à toi de me le dire.“

ID : „Je pense que la communication elle n’est pas si importante que ça, spécialement avant ou après, ça c’est sûr.„

CLH : „Mais pendant l’improvisation c’est un art qui a à faire avec la communication ou pas?“ 

ID : „C’est un échange. Peut-être plus qu’une communication, parce que c’est plus un état ou on partage quelque chose, mais pour moi il ne s’agit pas spécialement de communication, il n’y a pas un message qui est transmis, il n y a pas un langage qui est dit, pas quelque chose qui est raconté, donc c’est plus l’écoute évidemment. Enfin, c’est l’art de l’écoute et le partage de l’écoute, la possibilité de s’ouvrir à l’autre de recevoir l’autre, mais je ne pense pas que ça soit un art de la communication pour moi.“

CLH : „Mais quand tu joues un son est-ce que tu veux que quelqu’un de tes co-musiciens ou musiciennes le comprennent ou pas?“

ID : „Chacun va le comprendre à sa manière.“

CLH : „Ça veut dire?“

ID : „Si je joue quelque chose peut être, je ne sais pas, si je joue avec Franz, il va l’entendre d’une façon, toi tu vas le comprendre d’une autre manière donc je ne communique pas une idée, il n’y a pas un message derrière le son, donc quel qu’il soit, selon comment la personne le reçoit, c’est égal. Ce qui est important peut être, c’est que ça mette en vibration quelque chose, que ça mette en émotion ou pas d’ailleurs, mais qu’il y ait quelque chose, surtout une vibration qui passe entre les gens, mais pas une communication, pas quelque chose qui n’a pas de sens.“

CLH : „Mais c’est important que tu sentes une réponse ? Tu donnes des réponses ? Est-ce qu’on pourrait dire d’ une manière ou d’une autre?“

ID : „Moi, je dirais plutôt que c’est un état de confiance qui est important pour moi. C’est un endroit où on sent que l’autre et soi-même sont totalement acceptés, donc on décide de répondre ou pas répondre, d’être compris ou pas compris mais à partir du moment où il y a cette confiance qui est là et cette possibilité d’ouvrir le ventre ou d’ouvrir la tête. Pour moi, c’est ça qui est important. Et de l’accepter de l’autre aussi.“

CLH : „Est- ce que c’est aussi une question de psychologie, d’improviser avec des autres?“

ID : „Alors, non. C’est rigolo que tu poses cette question parce qu’ en ce moment c’est très présent parce que moi ma musique je pense qu’il y a une grande part de psychologie dans ma musique. Et je partage beaucoup la musique avec Franz Hautzinger qui lui, il n’y a pas de psychologie. On travaille en ce moment avec un groupe d’amateurs et on est balancé entre ça, mais je pense que la psychologie n’est absolument pas nécessaire. Chacun à la possibilité de l’exploiter ou pas ou des fois, on n’a pas encore assez de distance par rapport à sa propre psychologie je pense, mais ce n’est pas nécessaire. C’est plutôt embarrassant.“

CLH : „Si c’est trop psycho.“

ID : „Oui, je pense.“

CLH : „Quand tu joues comment est-ce que tu sais si ça va être très bon ou pas?“ 

ID : „Des fois on a l’impression que le concert était bien, et ce n’était pas le meilleur et puis des fois on est gêné par des évènements et puis finalement le concert est bien. Mais pour moi, j’aime beaucoup quand je sens que la musique c’est défilé comme ça sur le fil sans que mon esprit ait été habité par des choses qui sont venues me déranger et là je peux me dire que la concentration était bonne, que la concentration était bien donc par la concentration certainement la musique était bien. Mais ce n’est pas toujours le cas, mais je reconnais quand la musique circule librement, moi, ça je le reconnais. Après la qualité c’est autre chose. De l’écoute, parce que la personne aussi elle peut entendre absolument différemment. Moi j’aime quand ça circule librement et quand rien n’est venu perturber. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de pensées qui arrivent mais quand c’est quelque chose qui a un flux, puis voilà je pense peut être à quelque chose, mais ça ne me gêne pas, ça continue. Pour moi le concert est bien quand le flux de la musique est libre.“

CLH : „Est-ce que tu penses que l’audience va percevoir ça?“ 

ID : „Je pense que oui. De toute façon je pense toujours que l’audience elle fait vraiment partie intégrante du concert. Elle est aussi responsable.“

CLH : „Alors on pourrait aussi dire que le flux c’est aussi un peu un de tes critères pour une bonne improvisation que tu écoutes?“ 

ID : „Oui quand on sent que..“

CLH : „Tu t’en rends compte si ça existe entre les joueurs?“

ID : „Oui, entre les joueurs et le public, c’est vrai qu’on sent ses vibrations qui arrivent ou qui n’arrivent pas. Qui arrivent entre les musiciens, qui n’existent pas. Moi je suis très sensible à ça. Ça c’est sûr!“

CLH : „Et qu’est-ce que tu fais si ça ne t’arrive pas?“

ID : „En tant que public?“

CLH : „Non, quand tu joues et que tu ne rencontres pas le flux.“

ID : „Soit j’essaye de reposer la chose, donc peut être de m’absenter si je suis dans un groupe pendant un moment, de faire silence et puis d’essayer de me remettre moi à un endroit plus stable et essayer de repartir de nouveau.“

CLH : „Pour la fin j‘ai deux questions concernant Vienne. Est-ce qu’il y a une sorte de musique que tu considère être viennoise ? Musique improvisée. Bien sûr, je parle des improvisateurs et je veux savoir s’il y a un style viennois.“

ID : „Ce que moi je trouve à Vienne et certainement ça joue dans l’improvisation, c’est que le musicien il est plus libre de passer à différentes musiques. Il peut faire de la musique contemporaine, de la musique classique, de l’improvisation, de la musique électronique, une musique baroque. Ce n’est pas un problème. Ce n’est pas sectaire. On ne veut pas mettre les gens dans une case, ou ça peut être du jazz à l’improvisation. Le musicien, j’ai l’impression est plus libre de circuler entre les musiques. Donc du coup, l’improvisation elle me semble aussi plus libre. C’est possible d’avoir quelque chose de complètent mélodique ou jazz et repartir ailleurs.“

CLH : „Aussi avec des improvisateurs improvisateurs?“ 

ID : „Oui ! Oui, j’ai l’impression qu’il y a plus de liberté comparée à la France par exemple.  En France on aime bien mettre les gens dans des cases et puis si c’était improvisateur à un moment donné même il ne fallait pas faire une seule mélodie. Ici j’ai l’impression que ça, ça n’existe pas .Donc le musicien me semble plus libre, de voyager lui-même entre ses musiques.“

CLH : „Est- ce qu’il y a des musiciens typiques improvisateurs de Vienne ? Que tu reconnais dans la rue?“

ID : „Oui.“

CLH : „Est-ce qu’il y a un type de musiciens ou tu dirais «Ah c’est typique, il vient de Vienne ! »?“

ID : „[rit] C’est difficile comme question. Parce que c’est difficile de séparer la personne justement avec le contexte.“

CLH : „Tiziana a parlé de coupe de cheveux.“ 

ID : „En même temps, j’ai l’impression que peut être le musicien viennois, il a une certaine réserve. Il va faire son concert et peut être c’est moins : « Oh, tu es mon ami », l’embrassade comme en France. Je pense qu’il y a une certaine réserve et en même temps il y a aussi un très fort esprit de famille à Vienne entre les musiciens. Il y a vraiment des familles ou presque des clans, mais dans le bon sens du terme, où les gens prennent soin. C’est aussi un peu fermé comme ça, mais je dirais ça, oui. Il y a une certaine réserve dans les rapports humains, mais peut-être c’est aussi Viennois. Ça met du temps à ce que ça s’échappe. Dans des pays plus latins, on a l’habitude que ça s’échappe très vite, alors c’est vrai qu’au début on sent beaucoup de respect, de joie, par exemple dans la rencontre, mais ça passe par un moment de réserve, de petite distance où on apprend à se connaitre. Voilà, je dirais que pour apprendre à se connaitre c’est plus long à Vienne.“

CLH : „Merci beaucoup Isabelle!“

ID : „Merci Lu.“

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