Remy Bélanger

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CLH : Quelle sonorité ou image sonore y a-t-il dans l’EMIQ ?

Rémy : Les masses sonores et les interruptions précises. Je joue aussi avec le GGRIL, l’Ensemble SuperMusique, j’ai joué avec BerIO, ONCEIM… mais l’EMIQ, c’est particulier : on plonge dans une masse orchestrale que d’autres groupes évitent. On est aussi hyper réactif·ives, capables d’attaquer toustes en même temps avec une précision unique.

CLH : Sur un enregistrement, tu reconnaîtrais l’EMIQ ?

Rémy : Non. Et c’est très bien comme ça. On ne cherche pas une identité sonore fixe. L’important, c’est que ça existe, que ça se passe.

CLH : C’est une approche artistique en soi, juste le fait d’être là ?

Rémy : Oui, parce qu’avant l’EMIQ, cette communauté-là n’existait pas. Même si l’EMIQ jouait mal, ça resterait une démarche artistique, celle de créer une communauté, c’est de l’art. Et bien sûr, quand je dirige, ça me ressemble : des masses, des angles, Stockhausen, Xenakis. Et quand d’autres prennent la direction, ça change complètement.

CLH : C’est un collectif ?

Rémy : Non. l’EMIQ, c’est mon orchestre. Je fais tout : administration, affiches, interviews, direction, ramasser les bières renversées. C’est un projet personnel qui crée une communauté. Par contre, Musique pas d’air, l’organisme derrière toute l’organisation de musique improvisée à Québec, c’est un collectif, nous sommes 6 personnes. Mais pour l’EMIQ, c’est moi qui décide.

CLH : Y a-t-il un son typique de Québec ?

Rémy : Pas un son, mais un contexte. Québec est imprégnée d’art performance : des actions absurdes, du feu, des performances bruitistes. Ça influence forcément la musique improvisée. Et c’est aussi la seule scène d’improvisation que je connaisse où il y a autant de personnes queer.

CLH : Et la géographie ?

Rémy : Québec est une ville hostile à l’art. La majorité habite en banlieue, travaille, regarde la télé. Le centre-ville, c’est une bulle. Mais il y a une scène de sous-culture forte, qui existe malgré tout.

CLH : L’EMIQ est-il important pour la ville ?

Rémy : Pour la grande ville de Québec? Non. Pour notre scène, oui. L’EMIQ crée une occasion de se voir, de parler, de créer ensemble. À Québec, les cercles artistiques sont comme fermés : il y a du théâtre, du cirque, des arts visuels et pourtant, on se croise rarement entre les disciplines, on n’est pas au courant des activités des autres. Dans les années ’90, un journal listait tous les évènements sur la même page, mais Facebook a pris le relais, le journal est disparu, et maintenant Facebook est obsolète et il ne reste rien. Musique pas d’air maintient un agenda pour toute la musique nouvelle à Québec, mais les autres scènes m’échappent.

CLH : Le public est différent d’ailleurs ?

Rémy : Pas tant. Un public de musique improvisée, c’est toujours un mélange : jeunes, vieux, universitaires, marginaux. Mais c’est trop blanc à Québec. Ma ville si blanche dans les années ’90 a beaucoup changé, pour le mieux avec toute une diversité culturelle, mais la musique — improvisée, mais aussi classique, rock, etc. — n’a pas suivi le changement. J’ai travaillé pour la parité hommes-femmes dans l’EMIQ, et ça a marché. Pour la diversité culturelle, dans notre public comme dans l’orchestre, je pense que je sais ce qu’il faut faire, mais je n’en ai pas l’énergie pour l’instant.

CLH : Quel est le rapport entre liberté et musique improvisée ?

Rémy : Dans l’EMIQ, chacun peut apporter son propre truc, mais ça reste collectif. Liberté = responsabilité. Chaque musicien·nes est responsable du son de l’ensemble et on sent cette liberté-responsabilité très fort.

CLH : Un terme à supprimer entre composition, concept, improvisation ?

Rémy : Composition.

CLH : Qu’est-ce qui rassemble et divise les improvisateur·ices ?

Rémy : Ce qui les rassemble : le besoin de ne pas être seuls. Ce qui les divise : le syndrome de l’imposteur. Tout le monde doute de sa légitimité à être là.

CLH : Ton son préféré ?

Rémy : La lampe au sodium dans un stationnement souterrain. Ce bourdonnement jaune… ghzhzhzhzhzh.

CLH : Une note spéciale ?

Rémy : Fa dièse. Sur mon violoncelle, elle sonne plus fort que les autres. Et à la guitare, deux cordes ouvertes par dessus un power chord sur F# est l’accord grunge par excellence.

CLH : Un intervalle ?

Rémy : La seconde majeure. Ça frotte bien. La mineure, c’est trop cliché « film d’horreur ». La majeure reste neutre, statique, suspendue.