CLH : Y a-t-il une identité sonore propre au GGRIL ?
Pascal : Oui, dans la diversité des timbres et la réactivité du groupe. Grâce aux années passées ensemble et aux collaborations avec des compositeurs extérieurs, on a développé une grande palette sonore. On peut jouer très doucement, ce qui est rare dans un grand ensemble d’improvisation. Nos interactions sont souvent imperceptibles pour le public, mais elles modifient profondément la musique. Le GGRIL n’a pas une seule identité sonore, mais plutôt une multitude d’approches.
CLH : Le GGRIL est-il un collectif ? Y a-t-il un chef·fes ?
Pascal : Le leadership varie avec le temps. Éric Normand a joué un rôle central depuis le début, notamment dans l’organisation des concerts et des collaborations. Aujourd’hui, certaines responsabilités sont partagées et rémunérées. Avant, on répétait tous les mois, ce qui renforçait l’aspect communautaire. Maintenant, c’est plus sporadique, et l’énergie du collectif dépend de l’investissement de chacun.
CLH : Y a-t-il un son typique de Rimouski ?
Pascal : Difficile à dire, je ne suis pas d’ici. Mais le son du GGRIL est lié à celui de Rimouski. Comme la scène musicale est plus restreinte qu’à Berlin ou Cologne, chaque voix est forte et identifiable. C’est un son éclectique, unifié par sa diversité.
CLH : Le GGRIL est-il influencé par son environnement ?
Pascal : Oui, totalement. Il attire un public varié, pas forcément musicien·nes, mais curieux·ses. Le groupe s’inscrit profondément dans la ville. D’ailleurs, son nom le reflète : Grand Groupe Régional d’Improvisation Libérée. Le GGRIL se revendique comme un ensemble issu des régions, avec une identité forte qui résonne au Québec et même à l’international.
CLH : Les petits publics sont parfois plus ouverts aux expérimentations…
Pascal : Exactement. Dans une grande ville, le public s’attend à un style précis. Ici, les gens viennent par curiosité, sans attentes figées. Ils écoutent, réagissent librement, sans chercher à analyser la musique à travers un prisme académique.
CLH : Quel est le lien entre le GGRIL et la liberté ?
Pascal : Pour moi, c’était une vraie libération. Je viens du classique et du jazz, et l’improvisation expérimentale m’a ouvert un monde nouveau. Quand j’ai découvert cette musique, je pensais qu’elle était réservée aux Européens. Jouer avec le GGRIL m’a montré que je pouvais en faire partie. La liberté, c’est aussi pouvoir repenser son instrument.
CLH : Si tu devais supprimer un des trois termes – composition, improvisation, concept – lequel choisirais-tu ?
Pascal : Composition. Parce que dans un bon concept, il y a déjà de la composition.
CLH : Qu’est-ce qui unit et divise les improvisateur·ices ?
Pascal : L’habitude de jouer ensemble nous unit. Mais le quotidien nous éloigne : le travail, la distance, les contraintes. Pourtant, même la division peut être un moteur de cohésion. Quand quelqu’un brise une structure, ça force le groupe à s’adapter et à créer ensemble.
CLH : Quel est ton son préféré ?
Pascal : Quelque chose de grave et dense, comme dans le métal ou certaines musiques électroacoustiques.
CLH : Une note particulière ?
Pascal : Pas vraiment, mais j’aime la sixte mineure.
CLH : Y a-t-il une identité sonore propre au GGRIL ?
Gabriel : Oui, mais elle est difficile à définir. Elle a évolué avec le temps et dépend des artistes avec qui on collabore. On oscille entre une approche bruitiste influencée par l’improvisation européenne et une ouverture à la mélodie, sans y être contraints. Ce qui nous caractérise, c’est notre manière d’interagir et d’écouter.
CLH : Êtes-vous un collectif ?
Gabriel : Oui, mais un collectif qui évolue à chaque projet. Aucun concert n’a exactement la même formation. Éric a longtemps été le noyau du groupe, mais ces dernières années, il a décentralisé les décisions. Cela demande une implication collective, ce qui a ses avantages et ses défis.
CLH : Y a-t-il un son qui représente Rimouski pour toi ?
Gabriel : Oui, le son de l’eau. Mais ici, les plages sont rocheuses, alors que là où j’ai grandi, en Côte-Nord, elles sont sablonneuses. Le ressac sur les rochers produit un son plus dur, plus heurté. Ça change complètement l’ambiance sonore.
CLH : Penses-tu que la géographie influence votre musique ?
Gabriel : Forcément. Ce n’est pas toujours conscient, mais on est imprégnés de notre environnement. Rimouski est une petite ville où la communauté artistique est serrée. On se croise, on échange, et ça se reflète dans notre manière de jouer ensemble.
CLH : Quelle est l’importance du GGRIL pour Rimouski ?
Gabriel : Je suis convaincu qu’on apporte quelque chose d’essentiel. On ne cherche pas la reconnaissance, mais il y a une vraie curiosité du public. Les gens veulent comprendre comment fonctionne cette musique, comment elle se construit sans partition.
CLH : Le public ici est-il différent de celui des grandes villes ?
Gabriel : Peut-être. Rimouski est une ville universitaire, mais à échelle humaine. Il y a une curiosité et une ouverture marquées. On joue aussi à Québec et Montréal, et le nombre de spectateur·ices est souvent similaire, malgré la taille de la ville. Ce qui est certain, c’est qu’ici, l’écoute est attentive.
CLH : Quel est le lien entre le GGRIL et la liberté ?
Gabriel : Fondamental. Le GGRIL s’est créé sur cette idée de liberté. D’ailleurs, libre ou libéré fait partie du nom du groupe. Ce qu’on cherche, c’est se libérer des cadres formatés de la musique pour choisir nos propres contraintes.
CLH : Si tu devais supprimer un des trois termes – composition, improvisation, concept – lequel choisirais-tu ?
Gabriel : Composition. On joue souvent des pièces composées, mais on peut aussi s’en passer. L’improvisation est essentielle, et même sans composition écrite, il y a toujours un concept qui guide notre jeu.
CLH : Qu’est-ce qui unit et divise les improvisateur·ices du GGRIL ?
Gabriel : Ce qui nous unit, c’est cette envie de liberté. Ce qui nous divise, ce sont parfois nos interprétations de cette liberté. Il n’y a pas de grandes fractures, mais des petites différences dans la manière d’aborder la musique. Cela dit, ces divergences sont souvent temporaires.
CLH : Qu’est-ce qui crée le contact entre les musicien·nes ?
Gabriel : L’écoute. J’essaie d’être complètement ouvert à ce qui se passe autour de moi, de me laisser guider par l’élan du moment plutôt que par une idée préconçue. L’idéal, c’est de jouer en pensant le moins possible.
CLH : Quel est ton son favori en ce moment ?
Gabriel : Un son cristallin, très aigu, que j’obtiens en frappant légèrement mon embouchure. Bien placé, c’est comme une petite perle sonore qui tombe au bon moment.
CLH : Une note spéciale pour toi ?
Gabriel : Le fa dièse aigu. Comme tromboniste, j’aime jouer grave, mais placer une belle note aiguë bien résonnante est toujours satisfaisant.
CLH : Un intervalle favori ?
Gabriel : La quinte diminuée. C’est un intervalle que j’utilise souvent, il me permet d’explorer différentes tensions harmoniques.
CLH : Quelle est l’image sonore ou la signature sonore du GGRIL ?
Robert : C’est difficile à dire. Il y a bien sûr une forme de son, mais il n’est pas toujours reconnaissable. Ce n’est pas aussi structuré qu’un ensemble comme SuperMusique. Le GGRIL, c’est plus mouvant, plus fluide, moins fixé. En répétition, on joue souvent cinq fois une même idée, puis en performance, c’est complètement autre chose. L’écoute est centrale.
CLH : Et l’approche artistique ? C’est une combinaison entre vos propres idées et celles des compositeur·rice·s invité·e·s ?
Robert : Oui. Il y en a qui arrivent avec des partitions très écrites, d’autres sont plus ouvertes. Moi, je suis à l’aise avec les partitions graphiques, mais pas avec la lecture traditionnelle. Certains compositeur·rice·s permettent un vrai mélange entre leurs intentions et notre manière de faire.
CLH : Le GGRIL, c’est un collectif ? Une communauté ?
Robert : Oui, c’est un collectif très ouvert. Il n’y a jamais eu de critères pour entrer. Des jeune·s de 17 ans sont venu·e·s jouer. C’est un organisme vivant, une sorte de bibitte musicale. Ça a accueilli tout le monde, sans audition ni test.
CLH : Et Rimouski ? Y a-t-il un son typique pour cette ville ?
Robert : Les gens sont très polis, c’est une différence marquante avec Montréal. Mais si je devais nommer un son, ce serait celui du vent au bord du fleuve.
CLH : Tu crois que la géographie du lieu influence la musique ?
Robert : Oui, mais de façon très subtile.
CLH : Et l’activité du GGRIL, elle est importante pour Rimouski ?
Robert : On joue souvent au „Paradis“, un lieu très ancien et vivant ici. Il y a des gens qui viennent nous voir depuis quinze ans. Est-ce qu’on est important ? Je ne sais pas, mais on est là, on existe.
CLH : Et le public ici ? Il est différent ?
Robert : Ce sont souvent des artistes, des artisan·e·s. Mais à vrai dire, que ce soit à Moncton, à Montréal ou ailleurs, j’ai jamais vu une grande différence. Ce qui m’a marqué, c’est que le GGRIL brise les structures établies. Par exemple, un orchestre en France très hiérarchisé a été complètement déstabilisé en jouant avec nous. Ça a créé quelque chose de nouveau.
CLH : Quel est le rapport entre votre musique et la liberté ?
Robert : Avec le GGRIL, j’ai développé un sentiment d’ouvrier. Je n’ai pas de stress comme avant, où je faisais de la musique formelle. Là, je réponds à une commande, je fais ce que je peux, du mieux que je peux.
CLH : Si tu devais supprimer un des trois mots – composition, improvisation, concept – pour décrire le GGRIL, lequel ?
Robert : Composition. C’est trop encadré.
CLH : Qu’est-ce qui rassemble les improvisateur·ices·rice·s ?
Robert : L’écoute, le regard. C’est ça qui nous met en lien sur scène.
CLH : Et qu’est-ce qui les divise ?
Robert : Peut-être l’ego, mais c’est plus compliqué. L’ego n’est pas un problème si ça n’écrase pas les autres. Ce qui me dérange, c’est quand quelqu’un impose une esthétique très fermée, qui empêche les autres de jouer.
CLH : Ton son préféré en ce moment ?
Robert : Le vent au bord du fleuve. À Saint-Fabien-sur-mer ou au Parc du Bic. Des vagues de vent, parfois intenses, parfois douces.
CLH: Quelle sonorité ou image sonore y a-t-il, l’ensemble SuperMusique ? Est-ce qu’il y a une signature sonore ?
Pierre-Yves: J’imagine que ça dépend du projet, mais il y a des éléments récurrents : les partitions graphiques, les grands ensembles, l’absence de structures harmoniques ou mélodiques classiques. Ce n’est pas toujours perceptible à l’écoute, mais ces éléments soutiennent la musique. Et il y a une énergie, un éventail sonore très large, un peu comme une marmite qui peut exploser à tout moment.
CLH: Est-ce que l’ensemble SuperMusique a une identité artistique spécifique ?
Pierre-Yves: Pour moi, SuperMusique, c’est une composition continue de Joane, Danielle et Diane depuis les débuts. C’est comme une longue variation dans le temps. L’esthétique vient d’une tradition des années 80, influencée par le minimalisme et les restrictions de matériel, mais il y a toujours cette tension énergétique prête à surgir.
CLH: Est-ce que SuperMusique est un collectif ?
Pierre-Yves: Non, c’est dirigé. Ce n’est pas un collectif horizontal. Même si ça a émergé contre les orchestres traditionnels, leur structure s’en inspire : un chef·fes, une direction claire.
CLH: Quel bruit est typique pour ta ville, Montréal ?
Pierre-Yves: Le son des avions qui passent en permanence au-dessus de mon quartier. Et aussi le chant du cardinal, que j’entends souvent dans ma cour.
CLH: Est-ce que la géographie ou la société de Montréal influencent la musique ?
Pierre-Yves: Oui. Montréal est très segmentée entre francophones et anglophones, et je pense que cette séparation se reflète dans la musique aussi. Il y a une volonté de protéger une identité, surtout linguistique.
CLH: Est-ce que l’activité de SuperMusique est importante pour la ville ?
Pierre-Yves: Oui. Si SuperMusique n’existait pas, Montréal ne serait pas ce qu’elle est. C’est un pilier de la musique contemporaine ici. Maintenant que Danielle pense à la relève, on voit à quel point c’est important et complexe à transmettre.
CLH: Le public de Montréal est-il différent ?
Pierre-Yves: Difficile à dire. Parfois les concerts sont pleins, parfois vides. Il faudrait peut-être repenser la manière d’attirer le public. C’est très variable.
CLH: Quel est le rapport entre la musique et la liberté pour toi ?
Pierre-Yves: La musique, c’est la liberté. Décider de faire un son, c’est déjà un acte de liberté. Je me sens le plus libre quand je joue, quand je peux être moi-même.
CLH: Et en improvisation ?
Pierre-Yves: J’ai mon vocabulaire, mes gestes. Ce qui change, c’est comment l’environnement et les autres me poussent à choisir quoi jouer. C’est cette énergie partagée qui rend les choses vivantes. Une fusion qui n’arrive pas toujours, mais quand ça arrive, c’est fort.
CLH: Si tu devais supprimer un des trois termes suivants : composition, improvisation, concept ?
Pierre-Yves: Composition. Chez SuperMusique, c’est plus des concepts — ouverts, modulables. La composition est plus rigide. Un concept laisse plus d’espace à l’improvisation.
CLH: Qu’est-ce qui rassemble ou divise les improvisateur·ices·trices ?
Pierre-Yves: Le silence et l’espace partagés, qui permettent de construire quelque chose ensemble. Ce qui divise, c’est quand chacun·e reste dans sa bulle, en parallèle, sans écoute ni interaction réelle.
CLH: Quel est ton son favori ?
Pierre-Yves: Le vent. Toutes sortes de vent. C’est simple, vivant, et il revient toujours.
CLH: Et une note spéciale pour toi ?
Pierre-Yves: Le ré. C’est la note centrale de mes instruments, très présente dans les harmoniques des instruments à cordes.
CLH: Un intervalle spécial ?
Pierre-Yves: La seconde, surtout la grande. J’aime ce flou possible, ce jeu avec la septième et la neuvième.
CLH : Quelle sonorité ou image sonore y a-t-il dans la musique de SuperMusique ? Est-ce qu’on reconnaîtrait un enregistrement à la radio, par exemple, comme étant de l’Ensemble SuperMusique ?
Jean : C’est difficile à définir. Mais on reconnaît une musique qui implique des improvisateur·rice·s, une musique non écrite, avec un recours à l’improvisation. Ça s’entend, je crois, la différence entre musique écrite et improvisée.
SuperMusique est à mi-chemin : c’est de la composition pour improvisateur·rice·s. Donc oui, cela élimine déjà beaucoup d’ensembles. Et peut-être qu’on pourrait reconnaître. Moi, je crois que je reconnaîtrais.
CLH : Parce que tu connais les musicien·ne·s ?
Jean : Oui. Ce sont les musicien·ne·s qui font la signature. Mais pas toujours dans les pièces : on est plus défini dans l’improvisation libre. Là, chacun·e exprime pleinement sa voix, prend toutes les décisions dans le moment.
Dans les pièces de SuperMusique, on rend aussi la pensée d’un·e compositeur·rice. On est des interprètes. Ce n’est pas exactement la même liberté.
CLH : Donc pour toi, il y a une vraie différence entre improvisation libre et improvisation encadrée ?
Jean : Oui, une différence fondamentale. En improvisation libre, je suis responsable du temps, de mon entrée, de mon jeu. Je peux changer d’instrument, d’approche.
Dans une pièce, je dois jouer selon un jeu proposé. Si on joue aux échecs, on respecte les règles. L’improvisation libre, elle, est ouverte. On pourrait faire n’importe quoi — même si, en fait, on ne fait jamais n’importe quoi. C’est trop difficile !
CLH : Et SuperMusique, c’est une communauté, un collectif ? Qui prend les décisions ?
Jean : Ce sont Danielle et Joane qui assurent la direction artistique. Mais elles désignent aussi d’autres chef·fe·s pour certaines sections ou concerts. C’est dans leur vision de l’ensemble.
Il peut y avoir plusieurs chef·fe·s dans un même concert. Chaque personne peut être désignée pour une section. Mais c’est elles qui encadrent l’évolution de l’ensemble.
CLH : C’est une structure plutôt formelle ?
Jean : Oui, surtout comparé à des séries comme Mercredi Musique, qui n’ont jamais reçu de financement. SuperMusique a un bureau, des personnes salariées, une image graphique.
C’est aussi pour être respecté par les institutions. Le mot “improvisation” est mal vu en politique, il fait peur aux subventionneur·euse·s. Il faut présenter un projet structuré. C’est dommage, mais c’est comme ça.
CLH : Est-ce que Montréal a un son pour toi ?
Jean : Le passage des oies. Et autrefois, le cri de l’engoulevent, un oiseau aujourd’hui en disparition. Ces sons-là sont très montréalais pour moi.
CLH : Est-ce que la géographie ou la société montréalaise s’imprime dans votre musique ?
Jean : Oui. Montréal est une île, on est différent·e·s. C’est souvent en voyageant qu’on s’en rend compte. Les gens ailleurs étaient surpris de notre musique.
La musique actuelle ici mélange les styles, les références — folklore, jazz, humour — c’est moins académique. Mais les styles sont encore compartimentés. Les gens me connaissent comme joueur d’appeaux, de jazz, de musique de film… ça ne connecte pas.
CLH : Est-ce que vous pensez que votre activité est importante pour Montréal ?
Jean : Moi je pense que oui. Mais je ne sais pas si la ville le pense. Parfois, je sens du respect, mais pas d’amour. Comme si on faisait quelque chose de bien, mais qui fait peur. La musique fait peur, parfois.
CLH : Et le public ? Est-ce qu’il est montréalais, ou universel ?
Jean : Il y a un petit public fidèle. À Montréal, les gens sont chaleureux, spontanés. On sent une générosité. À Berlin, Ottawa, New York, c’est plus froid. Moins de retour.
Quand j’ai commencé, il y avait parfois des réactions violentes. Des gens qui coupaient les micros, ou versaient une bière dans le saxophone. Aujourd’hui, c’est plus accepté.
CLH : Quel est le lien entre liberté et la musique de SuperMusique ?
Jean : Les musicien·ne·s sont choisi·e·s pour leur capacité d’initiative. Même dans une pièce composée, on ne suit pas une recette de gâteau. On prend beaucoup de décisions.
Parfois, je me dis : je suis autant compositeur que la personne qui a conçu la pièce. Je remplis les cases avec mon propre langage, mes sons. Mais c’est délicat.
CLH : S’il fallait supprimer un mot : “composition”, “concept” ou “improvisation”, lequel supprimerais-tu ?
Jean : Hmm. C’est un triangle dynamique. Mais si je dois choisir : je supprimerais peut-être concept.
CLH : Qu’est-ce qui rassemble ou divise les improvisateur·rice·s ?
Jean : Iels ne sont pas que musicien·ne·s : il y a aussi des improvisateur·rice·s en danse, en théâtre. Ce qui divise parfois, ce sont les orientations personnelles, les “sous-écoles”, les esthétiques.
Certain·e·s veulent jouer avec tout le monde, d’autres ont plus d’affinités. Il y a des tendances qui émergent, perdent de la vitalité, reviennent. C’est un mouvement constant, selon les désirs, les appétits du moment.
CLH : Questions courtes. Ton son ou bruit favori ?
Jean : Je ne sais pas. Ça dépend du contexte.
CLH : Une note qui est spéciale pour toi ?
Jean : Non, je crois que j’aime toutes les fréquences. Mais si une note me gêne trop… je change d’instrument.
CLH : Un intervalle spécial ?
Jean : Quand j’étais jeune : la septième mineure. À cause du blues. Maintenant : j’aime tous les intervalles.
CLH: Welche Klangfarbe oder welches Klangbild gibt es in der Musik von SuperMusique? Würde man zum Beispiel eine Aufnahme im Radio als SuperMusique erkennen?
Jean: Das ist schwer zu definieren. Aber man erkennt eine Musik, die Improvisator_innen einbezieht, eine nicht vollständig ausgeschriebene Musik, mit Raum für Improvisation. Ich glaube, man hört den Unterschied zwischen komponierter und improvisierter Musik.
SuperMusique liegt dazwischen: Es ist Komposition für Improvisator_innen. Das allein grenzt uns schon stark von vielen anderen Ensembles ab. Vielleicht könnte man es also wiedererkennen. Ich glaube, ich würde es erkennen.
CLH: Weil du die Musiker_innen kennst?
Jean: Ja. Es sind die Musiker_innen, die den Klang prägen. Aber nicht unbedingt in den Stücken – im freien Spiel ist das deutlicher. Da kann jede_r die eigene Stimme voll entfalten, jede Entscheidung im Moment treffen.
In den Stücken von SuperMusique bringen wir auch die Gedanken eines_einer Komponist_in zur Geltung. Wir sind Interpret_innen. Das ist nicht dieselbe Art von Freiheit.
CLH: Also ist für dich der Unterschied zwischen freier und strukturierter Improvisation grundlegend?
Jean: Ja, absolut. In der freien Improvisation bin ich für Zeit, Einsatz und mein Spiel verantwortlich. Ich kann mein Instrument oder meinen Zugang ändern.
In einem Stück spiele ich nach einer vorgegebenen Spielweise. Wenn man Schach spielt, hält man sich an die Regeln. Freie Improvisation dagegen ist offen. Man könnte alles tun – auch wenn man das in Wirklichkeit nie tut. Es ist einfach zu schwer!
CLH: Ist SuperMusique eine Gemeinschaft, ein Kollektiv? Wer trifft die Entscheidungen?
Jean: Danielle und Joane übernehmen die künstlerische Leitung. Aber sie benennen auch andere Leiter_innen für bestimmte Abschnitte oder Konzerte. Das gehört zu ihrer Vision des Ensembles.
Manchmal gibt es mehrere Leiter_innen innerhalb eines Konzerts. Jede Person kann für eine Sektion verantwortlich sein. Aber es sind Danielle und Joane, die den Gesamtrahmen steuern.
CLH: Ist das eine eher formelle Struktur?
Jean: Ja – besonders im Vergleich zu Konzertreihen wie „Mercredi Musique“, die nie Fördermittel bekommen haben. SuperMusique hat ein Büro, bezahlte Mitarbeiter_innen, eine visuelle Identität.
Das dient auch der Anerkennung durch die Institutionen. Das Wort „Improvisation“ wird in politischen und kulturellen Kontexten nicht gern gehört – es macht Fördergeber_innen nervös. Man muss ein strukturiertes Projekt präsentieren. Das ist schade, aber so ist es nun mal.
CLH: Hat Montréal für dich einen typischen Klang?
Jean: Der Zug der Wildgänse. Und früher – der Ruf des Ziegenschlafvogels, ein Vogel, der heute fast verschwunden ist. Diese Klänge sind für mich sehr typisch für Montréal.
CLH: Prägen Geografie oder Gesellschaft Montréals eure Musik?
Jean: Ja. Montréal ist eine Insel – wir sind ein bisschen anders. Meist merkt man das erst beim Reisen. An anderen Orten waren die Leute überrascht von unserer Musik.
Die aktuelle Musik hier vermischt Stile, Referenzen – Folklore, Jazz, Humor – es ist weniger akademisch. Aber die Stile sind trotzdem noch oft getrennt. Manche kennen mich als Spieler von Lockinstrumenten, als Jazzmusiker oder Filmkomponist … das verbindet sich nicht wirklich.
CLH: Denkst du, dass eure Arbeit für Montréal wichtig ist?
Jean: Ich glaube schon. Aber ich weiß nicht, ob die Stadt das auch so sieht. Manchmal spüre ich Respekt, aber keine Liebe. Als würden wir etwas Gutes tun – das aber Angst macht. Musik kann manchmal Angst machen.
CLH: Und das Publikum – ist es typisch Montréal oder universell?
Jean: Es gibt ein kleines, treues Publikum. In Montréal sind die Leute warmherzig, spontan. Man spürt Großzügigkeit. In Berlin, Ottawa oder New York ist es kühler. Weniger Rückmeldung.
Als ich angefangen habe, gab es manchmal heftige Reaktionen. Leute, die das Mikro abstellten oder ein Bier ins Saxophon kippten. Heute wird das mehr akzeptiert.
CLH: Was ist der Zusammenhang zwischen Musik und Freiheit bei SuperMusique?
Jean: Die Musiker_innen werden wegen ihrer Eigeninitiative ausgewählt. Selbst bei einem komponierten Stück folgen wir keinem Kuchenrezept. Wir treffen viele Entscheidungen.
Manchmal denke ich: Ich bin genauso viel Komponist wie die Person, die das Stück geschrieben hat. Ich fülle die Struktur mit meiner eigenen Sprache, meinen Klängen. Aber das ist ein Balanceakt.
CLH: Wenn du einen Begriff streichen müsstest – „Komposition“, „Konzept“ oder „Improvisation“ – welcher wäre es?
Jean: Hm … Es ist ein dynamisches Dreieck. Aber wenn ich muss: Vielleicht würde ich „Konzept“ streichen.
CLH: Was verbindet oder trennt Improvisator_innen?
Jean: Es gibt nicht nur Musiker_innen – auch Improvisation in Tanz oder Theater. Was manchmal trennt, sind persönliche Haltungen, „Sub-Schulen“, ästhetische Vorlieben.
Einige wollen mit allen spielen, andere haben spezifischere Vorlieben. Es entstehen Tendenzen, verlieren an Energie, kehren zurück. Es ist eine ständige Bewegung, je nach Lust und Interessen.
CLH: Kurze Fragen: Dein Lieblingsklang oder -geräusch?
Jean: Ich weiß nicht – es hängt vom Moment ab.
CLH: Eine Note, die dir besonders ist?
Jean: Nein, ich mag alle Frequenzen. Aber wenn mir eine Note zu sehr auf die Nerven geht … dann wechsle ich einfach das Instrument.
CLH: Ein besonderes Intervall?
Jean: Als ich jung war: die kleine Septime – wegen des Blues. Heute? Ich mag alle Intervalle.
CLH: What kind of sound image does SuperMusique create? Is there a distinctive sound?
Scott: Yes. SuperMusique always combines electronic and acoustic instruments. That synthesis defines the sound. Also, it’s an ensemble of variable geometry—different members for each project, but with some recurring key players like Joane Hétu, Danielle Palardy Roger, Diane Labrosse, Jean Derome, Bernard Falaise, and others. The sound is shaped by these improvisers and how their styles filter through the compositions. Conducting is another element—Joane, Danielle, and Jean all conduct in different ways using similar gestures but with very distinct outcomes.
CLH: Would you recognize a SuperMusique recording?
Scott: I think so. I’d recognize the individual improvisers—their voices are very distinct. The way they interact together gives the group its identity.
CLH: So the artistic identity is about the personalities?
Scott: Exactly. It’s about who’s playing and how. That gives it continuity despite different lineups.
CLH: Do you think improvised music sounds different in different cities like Montreal, Quebec, Rimouski?
Scott: Definitely. It’s the result of who’s playing and how often. Places like Rimouski have developed their own character by repetition—musicians playing together over time and developing shared instincts. Montreal is more fluid but still distinct.
CLH: What defines those local vibes?
Scott: It’s like a great dinner party—hard to quantify, but you know when it clicks. That chemistry becomes a sound. And in smaller cities, that chemistry is tighter because people tend to play together often.
CLH: Is SuperMusique a collective?
Scott: Not exactly. It has co-artistic directors who make decisions—very professional. But there’s a close relationship with the informal improvised music scene. That informal scene is crucial: it brings in new musicians, who later get involved in bigger projects. There’s an ecology—a balance between formal and informal spaces.
CLH: What does professionalization change?
Scott: It changes the music. SuperMusique focuses on composed works that use improvisers, not free improvisation per se. So the intention is different—it becomes about presenting a work well, not necessarily expressing freedom.
CLH: So is there still a connection between SuperMusique and freedom?
Scott: Personally, no. It’s more about responsibility. I don’t feel “free” as a player in these projects, but I try to create pieces that give room for expression. I’m not “giving” freedom—just not taking it away. “Free” is such a political term. I’ve been interested in the thought experiment replacing it with “responsible improvised music.” That says more about the ethics involved.
CLH: Does Montreal have a typical sound for you?
Scott: Yes. When I moved from Toronto, what struck me here was the sound of bicycle bells. Toronto was all about streetcars, but Montreal—it’s bikes. It’s quieter, softer, more human-scaled. That physical space and pace affects how people live and play.
CLH: Does geography shape the music?
Scott: Absolutely. Montreal’s musicians live closer together. It’s more affordable than Toronto, so people stay connected. You can walk to a gig or rehearsal. That proximity fosters relationships and makes collaboration easier.
CLH: Is SuperMusique important for Montreal?
Scott: Objectively, probably not. It’s a marginal practice, culturally. But we’re still here, and what we do matters internationally. Montreal benefits from it, even if it doesn’t always recognize it.
CLH: Is the Montreal audience different?
Scott: It depends on the context. There’s no single “Montreal audience.” Smaller cities like Rimouski or Victoriaville have more generalist audiences—people into all kinds of arts. In Montreal, it’s often more specialized.
CLH: If you had to eliminate one term: composition, improvisation, or concept?
Scott: Tough one. I’d reluctantly say concept. I personally use conceptual approaches a lot as a composer, and they’ve been welcomed in SuperMusique. But overall, composition and improvisation are more central to the ensemble.
CLH: What unifies the players?
Scott: The structure and artistic direction. It brings together people who might not otherwise play together. Over time, shared experience creates solidarity—even if the group changes. That’s part of the ecology.
CLH: And what divides them?
Scott: Also the structure. Being placed with unfamiliar collaborators can emphasize difference. But improvisers often thrive on difference. Tension can lead to discovery.
CLH: What’s your favorite sound?
Scott: The next sound I get to hear.
CLH: A pitch that’s special to you?
Scott: E-flat. On my horn, there’s a kind of bloom when I hit that note. It just resonates.
CLH: And an interval?
Scott: Octaves. Right now, I’m really into octaves. But that could change.
CLH: Is there a typical sound or sonic image that defines SuperMusique?
Lori: It would be hard pressed to describe a specific or „typical“ Supermusique sound. The group does so many different things, often with different people. But when I think about SuperMusique, I think immediately of Danielle and Joane — they are SuperMusique. If there is a typical sound, therefore, it is the sound of the musicians who they put together for any given piece or programme. They choose from a large, somewhat predictable pool of improvisers, although that pool is changing colours as we cross into the younger generations.
CLH: So it’s not just about the ensemble, but the people who drive it?
Lori: No matter whose concept or piece is being programmed and or directed, it is the players who do the sounding of it and that is the identifiable sound, the sound of those players.
CLH: Does SuperMusique reflect the sound of improvisation in Montreal?
Lori: Definitely, Supermusique reflects A sound of improvisation in Montreal. There are too many Montreal improvisors to be able to say that here is The Montreal sound. Supermusique is one of the longest-standing structures here, so it’s had a strong influence. But the Montreal improv scene is very diverse in terms of sound.
CLH: What would you say is the artistic identity of SuperMusique?
Lori: Curiosity. They take risks. It’s not about repeating the same aesthetic — it’s about exploring new ways to make music.
CLH: Would you consider SuperMusique a collective?
Lori: Not exactly. Danielle and Joane are clearly the leaders. But there’s a sense of shared creation within the projects. Everyone is encouraged to contribute ideas. It’s not top-down, but it’s not entirely flat either — it’s a kind of balanced leadership, certainly between Danielle and Joane but I don’t believe even they would define Supermusique as a collective.
CLH: Is there a noise or sound that, for you, represents Montreal?
Lori: The church bells! Every Sunday at noon, everywhere. And the sirens — very different from Europe. And honestly, the languages. It used to be mostly French in my neighbourhood, now I hear a lot more English. That shift is a sound too.
CLH: Do you think the geography or social fabric of Montreal shapes the music?
Lori: Yes I do believe that. For anywhere. Every place leaves a mark on how people create and listen…and think, and move, and…breathe.
CLH: Is SuperMusique’s activity important for the city?
Lori: Absolutely. It’s been operating for decades — an institution forcussed primarily on experimental art, this is rare in and of itself in North America. Supermusique creates space for experimentation, for artistic freedom. It’s part of the city’s cultural DNA at this point.
CLH: What about the audience — is there a typical audience for Ensemble SuperMusique projects in Montréal?
Lori: Each presenting organization in Montreal has its own audience including all of the crossover audience, those who go to concerts presented by different organizations. SuperMusique draws in an intergenerational audience. There are quite a few loyal Supermusique audience members who NEVER listen to any improvised music if it is not presented by or somehow related to Supermusique. However, there are also definitely Montreal audiences who go out to listen to improvised music who never go to Supermusique concerts.
CLH: What’s the role of freedom in the improvisatory music of SuperMusique?
Lori: When I am given a set of parameters and instructions of what to do in the improvisation, I try to be positive about them. They might present problems that I need to solve. And I think this is very much related to freedom. Generally, my approach to making music is one that could be „freedom“, in the sense that I try all of my life to give myself permission to not censor myself, to be curious in front of an audience.
CLH: If you had to eliminate one of these three — composition, improvisation, or concept — which would it be?
Lori: I’d drop “concept”. Improvisation and composition are essential — and sometimes, they’re the same thing. They are ways to directly make music whereas concept is not a means to make sound, it is derived from another part of the body, the top part.
CLH: What brings improvisers together — and what separates them?
Lori: Listening brings us together. The willingness to be in a space with others, without dominating. What separates us? Expectations — like when someone brings a pre-formed idea and doesn’t want to be affected by others. That is a kind of censorship and in improvising the only thing a player can not say is no.
CLH: What’s your favourite sound or noise?
Lori: Breath, when it’s slow and there’s a spiral in it.
CLH: Is there a musical note that is special for you?
Lori: I’m very drawn to Ab on the bass clarinet (Gb concert) . It resonates right through me and around me.
CLH: And an interval?
Lori: I really like the little ones these days, less than a half a tone, micro-tonal seconds.
Isabelle : Pour moi, c’est une série d’heureux accidents : spontanés, mais aussi organisés. J’ai une approche visuelle du son, et j’imagine le GGRIL comme un cercle chromatique où certaines combinaisons sont éclatantes, d’autres plus mystérieuses. C’est un équilibre fragile entre chaos et structure.
CLH : Qu’est-ce qui différencie le GGRIL des autres ensembles d’improvisation ?
Isabelle : Je fais aussi partie de l’Ensemble de Musiques Improvisées de Québec et de SuperMusique à Montréal, et ce sont trois mondes très différents. Le GGRIL a acquis une grande maturité grâce à ses collaborations avec des compositeurs internationaux, mais il garde une liberté unique.
CLH : Quelle est la relation entre ton jeu et la liberté ?
Isabelle : Elle est immense. Quand je suis arrivée au GGRIL en 2018 avec ma harpe classique, j’étais timide, pas encore sûre de ma singularité. Mais le groupe m’a accueillie avec une ouverture totale, même si mon jeu était hésitant. On m’a encouragée à expérimenter, à proposer des installations sonores et des structures inédites. Ici, on essaie, on explore ensemble, et si ça ne marche pas aujourd’hui, ça marchera une autre fois.
CLH : Y a-t-il un son typique de Rimouski ?
Isabelle : Le fleuve. La glace qui se brise. Le froid qui fait mal. On entend le ressac des vagues, mais aussi ces mini icebergs qui se percutent. C’est un paysage sonore rude et fascinant.
CLH : La géographie influence-t-elle votre musique ?
Isabelle : Oui, même inconsciemment. On vit dans de grands espaces, et ça se reflète dans notre façon de jouer : on laisse de l’air, de la respiration entre les sons. Après une pause, on a souvent envie de tout jouer d’un coup, et on doit se rappeler qu’il faut de l’espace, comme dans nos paysages.
CLH : Le GGRIL a-t-il un impact sur les habitants de Rimouski ?
Isabelle : Oui, le public est fidèle. Ce n’est pas une musique facile, mais les gens reviennent, attirés par l’expérience plus que par un style précis. C’est une communauté qui s’est formée autour de cette musique, une sorte de fraternité où chacun trouve une forme de nourriture artistique.
CLH : Si tu devais supprimer un des trois termes – composition, improvisation, concept – lequel choisirais-tu ?
Isabelle : Composition.
CLH : Qu’est-ce qui unit et divise les improvisateurs ?
Isabelle : Ce qui unit, c’est l’envie de partager et d’écouter l’autre. L’improvisation fonctionne quand on s’adapte, pas quand on veut juste jouer. Ce qui divise, c’est parfois l’ego. On peut être trop dans sa tête et perdre le lien avec le collectif. Dans un grand groupe, il arrive qu’un geste paraisse déconnecté du reste. C’est temporaire, mais ça crée des moments de rupture.
CLH : Quel est ton son préféré en ce moment ?
Isabelle : Les basses fréquences. Plus c’est profond, abyssal, plus ça me parle. Je joue un instrument qui va très haut, mais je préfère ce qui vibre dans les profondeurs, comme si j’étais au fond de l’océan.
CLH : Quelle sonorité ou image sonore est typique pour SuperMusique ? Est-ce qu’il y a une signature sonore reconnaissable ?
Danielle : Oui, je pense qu’on peut dire qu’il y a une identité sonore claire. SuperMusique, c’est unique à Montréal : on est le seul ensemble dédié à l’improvisation et à la musique actuelle. Ce qui marque, c’est le mélange des lutheries – beaucoup d’instrumentistes travaillent avec des instruments préparés ou inventés. Il y a une exploration constante du son. Plus de la moitié du groupe joue dans cette recherche, dans l’impureté des timbres, à l’opposé d’un ensemble contemporain classique. Et puis il y a la présence affirmée des femmes. Depuis le début, on a toujours voulu une parité dans l’ensemble. Et bien sûr, la place centrale de l’improvisation : une improvisation brute, proche de ce qu’on entend aux États-Unis ou en Europe. C’est ça notre son.
CLH : Est-ce que tu reconnaîtrais un enregistrement de SuperMusique ?
Danielle : Oui, à cause des sonorités, des instrumentistes, et aussi du groove. C’est un ensemble qui a de la puissance, qui n’a pas peur de groover, et ça nous distingue d’autres groupes ici.
CLH : Pourquoi avoir fondé l’ensemble ?
Danielle : Je l’ai fondé en 1998. Avant ça, il y avait eu WonderBrass – un groupe de femmes –, puis Les Poules. Quand ces projets ont cessé, ça m’a manqué. J’ai voulu créer un grand ensemble pour continuer à faire notre musique. Le premier concert, on était dix. Ensuite Joane m’a rejoint et on a construit ensemble.
CLH : Est-ce qu’il y a un esprit communautaire ou collectif dans SuperMusique ?
Danielle : L’Ensemble SuperMusique, c’est la musique. SuperMusique Production, c’est l’organisation, la gestion, les subventions. Les deux sont liées, mais distinctes.
Dans l’ensemble, chaque projet a une direction, souvent partagée entre Joane et moi. Mais on cherche toujours à intégrer les idées de chacun·e. Même si on guide, on veut que chaque personne se sente créateur·trice. Ce n’est pas pyramidal, c’est une hiérarchie partagée. On n’est pas un collectif au sens strict, mais l’esprit y ressemble parfois.
CLH : Est-ce que la géographie ou la société de Montréal s’imprime dans votre musique ?
Danielle : On a fait un projet autour du fleuve et des rivières en 2000 – ça influençait notre son. Aujourd’hui, c’est plus diffus. Montréal est une ville paisible mais complexe. La ville, elle est en nous. Elle est dense, urbaine, moi je suis urbaine. Ça influence notre densité sonore, alors je dirais que notre musique est urbaine, mais pas forcément « montréalaise ».
CLH : Est-ce que votre activité est importante pour Montréal ?
Danielle : Absolument. Depuis plus de 40 ans, on porte la musique actuelle, l’improvisation, le bruit, la diversité des instruments et des personnes, la reconnaissance des créateur·trice·s. On a été les premières à défendre ça auprès des institutions. Et même si aujourd’hui on est parfois vus comme les délinquant·e·s du Vivier, c’est important qu’on existe. On est encore là pour transmettre cette liberté aux nouvelles générations.
CLH : L’audience ici, est-ce qu’elle est particulière ?
Danielle : Ce n’est pas lié à Montréal uniquement. La musique expérimentale a une petite audience, mais très diverse : philosophes, matheux, jeunes, vieux… Il y a de tout. Mais c’est difficile de la faire grandir. Ce n’est pas contagieux comme un virus. Il faut inviter, convaincre.
CLH : Pour toi, la musique improvisée est un rituel ou plutôt une œuvre ?
Danielle : C’est une œuvre. À chaque concert, on compose en direct. Ce n’est pas un rituel, c’est de la création immédiate.
CLH : Quel est le rapport entre musique et liberté ?
Danielle : Pour nous, c’est un acte de création partagé, vivant. La musique est la liberté. C’est un espace où on se découvre, où on se déplace ensemble, sans hiérarchie. Le plaisir de jouer ensemble, de se surprendre, c’est une forme de liberté profonde. Pour les auditeur·trice·s, c’est souvent une autre liberté — celle de pouvoir choisir ce qu’on écoute, d’être transporté·e ailleurs. C’est une autre forme, mais tout aussi réelle.
CLH : S’il fallait supprimer un de ces trois termes – composition, concept, improvisation – tu choisirais lequel ?
Danielle : Difficile à dire. Pour moi, élaborer un concept, c’est déjà composer. Et improviser, c’est composer aussi. Donc au fond, je ne peux pas vraiment en supprimer un. Les trois sont liés.
CLH : Qu’est-ce qui rassemble les improvisateur·trice·s ? Et qu’est-ce qui les divise ?
Danielle : Ce qui nous rassemble, c’est le plaisir de jouer ensemble. Ce qui peut nous diviser, c’est l’autorité, ou les désaccords sur la manière de faire. Les styles aussi nous séparent : musique médiévale, contemporaine, jazz… Mais l’identité de genre ou culturelle peut aussi rassembler. La musique a ce pouvoir.
CLH : Quel est ton bruit ou son favori ?
Danielle : Les oiseaux. Tous les oiseaux. Je les écoute chaque matin. Ils sont intenses, généreux. J’aimerais être un oiseau dans une autre vie.
CLH : Une note spéciale pour toi ?
Danielle : Le si bémol. Il revient souvent instinctivement dans mes compositions.
CLH : Un intervalle préféré ?
Danielle : Les quartes et les quartes augmentées. J’ai même écrit une pièce autour de ça. Ça me fait vibrer profondément.
CLH : Est-ce qu’il y a une image sonore typique du SuperMusique. ? On pourrait reconnaître le son ?
Joane : C’est difficile à dire. L’ensemble, c’est beaucoup Danielle et moi – c’est nous qui choisissons les instrumentistes. Les projets sont variés, et comme c’est une formation à géométrie variable, ce ne sont jamais tout à fait les mêmes instrumentistes. Peut-être qu’on reconnaît certains sons individuels, mais il n’y a pas un son unifié de SuperMusique. Ce qui me manque parfois, c’est une fierté chez les musicien·nes d’être membre de l’ESM. Le sentiment d’appartenance est difficile à solidifier.
CLH : Qui décide qui fait partie de cette « pool » de musicien·nes ?
Joane : Danielle et moi. Parfois avec le ou la chef·fe d’un projet. Mais généralement, c’est nous qui choisissons, en fonction des besoins du projet. On adapte l’ensemble selon les envies du ou de la compositrice.
CLH : Tu dirais qu’il y a une identité artistique de SuperMusique ?
Joane : Oui, je dirais qu’il y a une attitude, une façon de faire. On travaille beaucoup en collaboration : chef·fe, compositeur·rice, interprètes ont des rôles équivalents. C’est plus long, mais ça donne une vraie liberté artistique.
CLH : Y a-t-il quand même un sentiment de communauté dans les moments de création ?
Joane : Oui, SuperMusique a contribué à créer une communauté autour de la musique improvisée à Montréal. On a été un vecteur important – avec mercredimusics, les Mardis Spaghetti, le GRRIL… Même si ça n’a pas créé un son commun, ça a renforcé les liens. Et on demande aux compositeur·rices de travailler avec cette communauté.
CLH : Y a-t-il un son typique de Montréal pour toi ?
Joane : Le moineau. Cet oiseau qui chante un peu mal. Chaque fois que je reviens à Montréal, je l’entends, c’est comme pour moi une signature sonore de la ville.
CLH : Et la géographie ou la société de Montréal, influencent-elles votre musique ?
Joane : Oui, absolument. Montréal a permis à cette musique d’exister – avec les soutiens publics, les loyers longtemps abordables. C’était possible d’y rester sans être riche. C’est en train de changer, mais ça a beaucoup compté.
CLH : Est-ce que votre activité est importante pour la ville ?
Joane : Je crois que oui, mais ce n’est pas vraiment reconnu. On n’est pas valorisé, on ne fait pas partie des références officielles de la culture québécoise. C’est un peu triste. À l’étranger, on est parfois plus connu qu’ici.
CLH : Le public à Montréal, est-il différent d’ailleurs ?
Joane : C’est un petit public, fidèle. Walter Boudreau disait qu’on a environ 5000 mélomanes à Montréal pour la musique contemporaine, électroacoustique, improvisée. C’est peu, et c’est un peu les mêmes qui vont à tous les concerts.
CLH : Y a-t-il un lien entre votre musique et la liberté ?
Joane : Oui. J’aime travailler en co-création, où les musicien·nes peuvent vraiment s’exprimer avec leur propre langage. En impro, on ne dit pas aux autres quoi faire. Mais il faut faire attention à ne pas écraser la liberté des autres. C’est un équilibre précieux.
CLH : S’il fallait supprimer un de ces trois termes : composition, concept, improvisation — ce serait lequel ?
Joane : Je garderais composition et improvisation. Je supprimerais le concept.
CLH : Qu’est-ce qui rassemble les improvisateur·rices — et qu’est-ce qui les divise ?
Joane : C’est comme dans la vie : on ne veut pas dîner avec tout le monde. On peut ne pas aimer improviser avec quelqu’un, puis ça peut changer. Il y a peu d’écoles distinctes à Montréal en ce moment, on est plutôt dans une grande vague commune. Et ça reste très instinctif.
CLH : Et ton son ou bruit préféré en ce moment ?
Joane : Les sons vocaux, les bruits de bouche. J’ai même fondé une chorale qui travaille avec ce type de sons.
CLH : Une note spéciale pour toi ?
Joane : Je joue du sax alto et je suis aussi altiste avec la voix. Tout ce qui est dans cette tessiture résonne avec moi.
CLH : Et un intervalle préféré ?
Joane : Le ton. J’aime beaucoup la grande seconde. J’adore quand deux voix ou instruments chantent à un ton de distance.