Raphaël Guay

CLH : L’EMIQ, est-ce qu’il y a une image sonore particulière ?

Raphaël : C’est une bonne question. Je dirais que c’est une question de densité sonore. Il y a une texture compacte. C’est comme une addition d’idées très différentes, compressées ensemble. Ça crée quelque chose d’assez unique.

CLH : Est-ce que c’est une commune, un collectif ?

Raphaël : Pour moi, c’est un truc ouvert. Du début, c’était comme ça : pas de portes fermées. C’est une mise en commun, accueillante.

CLH : Et Rémi, est-ce qu’il a fondé ça ?

Raphaël : Je pense que oui. À la base, c’était des activités communautaires, ouvertes à tous. Peu à peu, c’est devenu un ensemble musical à part entière. Ça a commencé par des ateliers, puis il y a eu des projets en dehors de ces ateliers.

CLH : Tu dirais que c’est une approche artistique ?

Raphaël : Oui, absolument. L’identité, c’est justement ce mélange : comment les musicien·nes expérimentés réagissent à des sons inattendus. C’est créatif, vivant.

CLH : Et ce n’est pas fatigant parfois, pour les musicien·nes plus expérimentés ?

Raphaël : Non. Peu importe de qui ça vient, chaque son est un défi. Mon travail, c’est de le magnifier, de lui donner un sens. Pour moi, c’est pas un problème. Le résultat change, mais le processus reste le même.

CLH : Est-ce qu’il y a un son typique de Québec, ou une vibration ?

Raphaël : J’ai pas vraiment réfléchi à ça… mais il y a quelque chose qui m’a toujours fasciné : le canon de la Citadelle, en haut de la ville. Quand il tire, les oiseaux partent, puis les cloches des églises répondent. C’est comme une séquence sonore particulière à Québec.

CLH : La géographie, ça influence la musique ici ?

Raphaël : Peut-être. Historiquement, il y a la haute ville, la bourgeoisie, et la basse ville, le peuple. Et c’est en bas que la musique improvisée se passe. En haut, c’est plus classique. Ça a probablement un effet sur les lieux, sur qui participe. C’est fort, cette séparation ici.

CLH : Est-ce que l’EMIQ est important pour la ville ?

Raphaël : Oui, je pense. Quand j’ai commencé, il n’y avait pas d’ensemble organisé comme ça. Ça donne un souffle, ça regroupe les gens. Avant, l’impro à Québec, c’était des petites initiatives isolées.

CLH : Et le public ici, il est différent de celui de Montréal ou Rimouski ?

Raphaël : Difficile à dire. C’est souvent les mêmes gens qui reviennent. Y’a un certain chevauchement avec d’autres scènes, mais pas complet. Peut-être 30 à 50 % se recoupent. Les gens qui viennent sont curieux·ses, ouverts. C’est pas le public typique d’un concert de musique contemporaine.

CLH : Tu dirais qu’il y a un rapport entre la musique improvisée et la liberté ?

Raphaël : Oui. Je pense que la musique improvisée montre que la liberté, c’est pas dangereux. C’est une démonstration forte de ça. Et certains ne peuvent pas rester. J’ai vu des gens quitter, trop émus ou déstabilisés. Mais pour ceux qui restent, ça casse des barrières. Et ça montre aussi que la liberté peut créer une communauté.

CLH : Si tu devais supprimer un des mots suivants : composition, improvisation, concept ?

Raphaël : Composition, je pense. Selon ma définition du mot, ce serait celui-là.

CLH : Qu’est-ce qui rassemble et qu’est-ce qui divise les musicien·nes dans l’EMIQ ?

Raphaël : Le sens de communauté rassemble. La volonté de faire quelque chose ensemble. Mais ce qui nous divise, c’est qu’on a tous des idées différentes sur ce que la musique devrait devenir. Et c’est aussi ça qui fait la richesse.

CLH : Est-ce qu’il y a parfois des tensions ?

Raphaël : Je les ai pas perçues. Peut-être que je suis naïf, mais j’ai pas vu de clans. Les gens ici sont très tolérants, je trouve.

CLH : Ton son favori ?

Raphaël : J’aime les métaux qui résonnent. En ce moment, c’est ça. Mais j’ai pas de son préféré fixe.

CLH : Et une note spéciale ?

Raphaël : Non, je pense pas. Je travaille en relatif, je m’attache pas à une note.

CLH : Un intervalle favori ?

Raphaël : La tierce mineure. Je trouve qu’on la boude trop souvent. Et avec les cloches, c’est un intervalle instable, parfois majeur, parfois mineur. Ça crée des couleurs magnifiques.

François Paquet

CLH : Y a-t-il une sonorité ou une image sonore propre à l’EMIQ ? Est-ce qu’on pourrait le reconnaître sur un enregistrement ?

François : Je pense que oui, et ça vient surtout de l’éclectisme des musicien·nes. On a des gens de backgrounds très différents : free jazz, classique, rock, performance, autodidactes ou ultra formés. Ce mélange-là colore vraiment le son. Ça change à chaque concert, parce que la formation varie tout le temps. Ce n’est jamais la même composition humaine, donc musicalement, c’est toujours nouveau et imprévisible.

CLH : Et malgré cette diversité, est-ce que ça donne une identité ?

François : Justement, c’est ça l’identité : l’absence de formule fixe. C’est ça qui rend la chose unique.

CLH : Qu’est-ce qui fait une bonne ou mauvaise soirée ?

François : Une bonne soirée, c’est quand on sent que les musicien·nes dialoguent vraiment. Mais même une soirée plus difficile peut être importante. Elle provoque des questions, des réflexions. L’auditeur·ices a aussi un rôle à jouer dans cette interaction.

CLH : Quelle est l’identité artistique de l’EMIQ pour toi ?

François : Pour moi, c’est un outil d’ouverture. C’est inclusif, ça donne accès à la musique improvisée, autant pour les musicien·nes que pour le public. Je le vois comme pédagogique, au sens de faire découvrir, pas de transmettre un savoir fixe. Même les musicien·nes expérimentés y apprennent quelque chose.

CLH : Et l’aspect collectif ?

François : C’est clair que Rémy est le moteur, mais c’est ouvert. Si je voulais organiser quelque chose sous le nom de l’EMIQ, je pourrais. Et avec musiquepasd’air, c’est complètement collectif, horizontal.

CLH : Y a-t-il une vibration, un son qui représente Québec pour toi ?

François : Pas un son précis, mais une ambiance : un calme bouillonnant. C’est une petite ville, mais il y a beaucoup de création. Ce n’est jamais oppressant, c’est à échelle humaine. Et même géographiquement, la distinction Haute-Ville / Basse-Ville a influencé l’organisation culturelle, même si ça tend à s’effacer.

CLH : Est-ce que l’activité d’EMIQ est importante pour la ville ?

François : Pour la grande ville, c’est marginal. Mais pour la communauté, c’est essentiel. Ça crée un espace de rencontre, ça nourrit le tissu social autant que musical.

CLH : Et l’audience à Québec, elle est différente ?

François : C’est une petite scène, très fidèle. À Québec, on connaît tout le monde. Il y a une proximité, une facilité de contact avec le public qui est très forte. C’est peut-être moins anonyme qu’ailleurs.

CLH : Quelle place a la liberté dans cette musique ?

François : Elle est fondamentale. La liberté de jouer, de ne pas jouer, de proposer ses propres règles. Même lorsqu’on se met des contraintes, c’est encore un acte libre. Et c’est ça qui rend cette musique pertinente.

CLH : Si tu devais supprimer un mot : composition, concept ou improvisation ?

François : Composition. C’est celui qui s’applique le moins à l’EMIQ.

CLH : Qu’est-ce qui rassemble ou divise les improvisateur·ices ?

François : L’écoute, c’est ce qui rassemble. Et ce qui divise, c’est quand deux idées musicales ne veulent pas se rencontrer. Mais même ça, ça peut être intéressant à explorer. La division n’est pas toujours négative.

CLH : Ton son favori ?

François : Un son long, grave, charnu… un son avec du corps.

CLH : Une note spéciale ?

François : Ré. C’est la seule que je pouvais reconnaître sans repère. Peut-être à cause de l’Art de la fugue de Bach.

CLH : Un intervalle préféré ?

François : La quinte juste. J’aime son côté creux, ouvert. Et en tant que guitariste, c’est un intervalle familier et central.

MMV5

CLH : Y a-t-il une image sonore de l’EMIQ, comme une signature reconnaissable ?

Mathieu 1 : Il y a souvent beaucoup de monde, chacun avec son instrument, sans que ce soit décidé par un chef·fes. Ça crée une couleur sonore particulière, un peu indéterminée, qui dépend de qui est là ce jour-là. Le roulement des gens fait partie de l’identité sonore.

Matthieu 2 : Même quand ce ne sont pas les mêmes personnes, ça sonne toujours comme le même groupe. Il y a une façon de jouer dans l’EMIQ, une écoute partagée. Les gens savent comment s’intégrer.

Mathieu 1 : Il y a aussi une grande diversité de participant·es, certains viennent de la musique classique, d’autres de la pop, d’autres sont improvisateur·ices ou amateurs. Ça donne des textures variées, parfois très maîtrisées, parfois plus brutes ou lo-fi. Pour ma part, j’aime prendre une place plus discrète et me laisser porter par ce qui se passe autour.

CLH : Donc, est-ce que la pratique de l’EMIQ permet à chacun de se présenter avec ce qu’il a à offrir ?

Matthieu 2 : Oui, c’est les gens qui font l’EMIQ. Quand j’y pense, je pense d’abord à des personnes, des visages. On joue ensemble juste dans ce contexte-là. Et quand de nouvelles personnes arrivent, ça s’intègre aussi facilement, même si le roulement est lent – Québec, c’est un grand petit village.

CLH : Est-ce que l’envie d’expérimenter agit comme un désir moteur?

Mathieu 1 : Toujours. Même si ce n’est pas dit explicitement, on vient là pour essayer. Comme quand on a joué avec une partition visuelle projetée, sans l’avoir vue avant. Il fallait lire, improviser, suivre la direction de Rémi. Très expérimental et formatif.

Matthieu 2 : On vient tous les trois des arts visuels. On adore se donner des contraintes pour stimuler l’improvisation. Et l’on continue de le faire avec l’EMIQ. Moi, je ne joue presque jamais deux fois le même instrument. J’aime toucher à tout, c’est comme ça que j’expérimente.

CLH : L’EMIQ est-il un collectif gouverné par un chef·fes ?

Vincent : Dans un grand groupe, c’est dur sans personne pour nous guider. Quelqu’un comme Rémi, aide beaucoup avec ses interventions. Il est instigateur du projet, mais la direction de celui-ci reste libre et ouverte.

Matthieu 2 : Quand il dirige, on sent qu’il cherche quelque chose. Et c’est agréable de participer à cette recherche.

Mathieu 1 : Il connaît bien les différentes pratiques des gens présents. Même quand un autre prend la direction – comme toi l’autre jour – c’est intéressant. Les contraintes peuvent venir de partout.

CLH : Y a-t-il un son typique de Québec ? Une vibration particulière ?

Matthieu 2 : Pas vraiment. Ce n’est pas comme une grande ville avec un bruit constant. Il y a des différences selon les quartiers.

Mathieu 1 : Il y a quelques années, on disait que Québec était la ville du métal. Il y avait beaucoup de spectacles dans des petits bars. Ça a diminué un moment, puis ça revient grâce à des gens comme Rémi et d’autres petits collectifs.

CLH : Est-ce important que l’EMIQ existe à Québec ?

Matthieu 2 : Oui. Ça crée des ponts entre différents milieux artistiques. Sans ça, chacun reste dans sa bulle – la musique, la poésie, les arts visuels ne se croisent pas tant que ça.

Mathieu 1 : Ça attire aussi des gens avec des modes de vie alternatifs et peut-être moins ceux qui ont un rythme de vis plus métro-boulot-dodo. Et ça permet à ceux qui n’oseraient pas forcément se confronter à un gros public d’aussi participer.

CLH : Et le public ?

Matthieu 2 : C’est souvent nous-mêmes ! Et nos ami·e·es. Mais aux gros événements, il y a plus de monde. Il y a des gens de tous âges, des curieux·ses, des habitués ainsi que des gens du milieu.

CLH : Qu’est-ce que la liberté dans cette pratique ?

Mathieu 1 : La liberté, c’est de pouvoir venir ou pas. Il n’y a pas d’obligation, pas d’exclusion. Ça, c’est précieux.

Vincent : Et quand tu viens, tu peux juste écouter, manipuler un objet, lire un poème. Tu n’as pas besoin de „montrer“ que tu es libre. C’est une liberté partagée, pas démonstrative.

CLH : Si l’on devait supprimer un mot : composition, improvisation, ou concept ?

Matthieu 1 : Composition !

CLH : Qu’est-ce qui rassemble les improvisateur·ices ?

Matthieu 2 : Le plaisir de jouer, de vivre un moment. Même si l’on ne se parle pas beaucoup avant ou après, on partage quelque chose. Comme un rituel.

Vincent : C’est comme aller à l’église. Tu viens, tu joues, tu parles un peu, puis tu pars. C’est ça, le lien.

CLH : Qu’est-ce qui vous „sort“ du jeu ?

Mathieu 1 : Parfois, quand quelqu’un prend trop de place. Mais ce n’est pas forcément négatif. Il faut juste savoir laisser l’espace vivre. Accepter de ne pas toujours être au centre.
Vincent : Trop de volonté ou de contrôle peuvent briser l’écoute. Moi, j’aime quand les choses fragiles émergent. Des sons qui naissent à peine ou sont sur le point de mourir.

CLH : Avez-vous un son préféré en ce moment ?

Mathieu 1 : Ces temps-ci, juste gratter doucement une corde, répéter le geste. Comme une médita

Fred Lebrasseur

CLH: Quel sonorité représente l’image sonore d’EMIQ?

Fred: J’entend un long son très dense en fréquence qui alterne avec des sons petits, variés et touffus.

CLH: Quel approche artistique fait l’identité du EMIQ?

Fred: l’ÉMIQ, fut créé par Rémy Bélanger de Beauport qui depuis, dirige l’organisation organique.
Son ouverture d’esprit et son désir de partager son art, comme de partager avec les divers types de musicien·nes, influence l’ensemble.
Des musicien·nes professionnels de la musique expérimental (ou improvisé, avangarde, actuelle…) comme des musicien·nes de classique, jazz, pop, rock qui ici s’exprime autrement. Ou encore des musicothérapeutes, des musicien·nes non professionnels qui jouent comme passe-temps ou même des enfants. Le tout basé sur l’improvisation et à géométrie très variable, de 5 à 35 personnes.

CLH: Est l’EMIQ un collectif?

Fred: On pourrait dire que oui. Rémy à presque toujours pris les rênes de l’ÉMIQ parce que quelqu’un devait le faire. Et il le fait si bien par la confiance que nous avons en lui, qu’il continue de le faire.

CLH: Quel bruit est typique pour Quebec?

Fred: Pour moi c’est le son de la grande cheminée (à gauche sur l’image) de l’usine la Daishowa inc ou Papiers White Birch.
Elle sonne comme un didgeridoo géant. On peut entendre sa note très grave, à des kilomètres, à l’intérieur d’un studio d’enregistrement!

CLH: La géographie et la societé içi, sont ils important pour la musique d’EMIQ?

Fred: C’est difficile à quantifier mais je suis sûr que oui. Les artistes de tous les arts s’influencent et s’inspirent entre eux.
Donc inévitablement l’architecture. Mais aussi l’environnement, l’hiver froid et très lumineux, la proximité du fleuve, une ville mais aussi de grands parcs comme les Plaines d’Abraham et…
Et le fait que divers gens de divers rangs sociaux (musicalement parlant) se rencontrent. Il y a beaucoup moins d’influence hiérarchique ici, qu’en Europe, par exemple.

CLH: Est l´activité d’EMIQ importante pour Quebec?

Fred: Je trouve que oui. Car en tout, je pense qu’il y a eu une cinquantaine de participant·es à l’ÉMIQ.
Déjà, juste pour nous qui y jouons c’est très important, ca nous permet un espace ludique pour converser, expérimenter et croiser nos chemins.
De plus, l’ÉMIQ ouvre beaucoup de portes aux nouveaux musicien·nes, leur donnant de l’expérience, une vitrine et des outils en improvisation.
Et aussi, le paysage artistique de Québec en est que enrichie par cette diversité sonore comme humaine.

CLH: L’audience ici, est-il différente d’autres audiences de la musique improvisée?

Fred: Difficile à dire, bien sûr si on compare à Montréal, il y a moins de population dans la ville de Québec mais il y a sûrement moins d’évènements d’improvisations.
Je pense que ca ressemble aussi, dans le sens que c’est un mélange d’habitué de la musique expérimentale et de quelques curieux·ses néophytes mais ouvert d’esprit.

CLH: Est ce qu’il y a un rapport entre la musique d’EMIQ et la liberté?

Fred: Oui. Je trouve que le fait que plein de monde de divers horizons crées ensemble, ça donne beaucoup de liberté.
Aussi Rémi, qui est notre „guide·s“ essaye de respecter les envie de liberté de chacun de nous.
Pour sûr, moi je me sens très libre.

CLH: S’il fallait supprimer un de ces trois termes, c’était lequel pour toi?

Fred: Composition. Improvisation. Concept.
Surement „Composition“ meme si pour moi l’improvisation c’est de la composition en instantané.
Car ensemble on parle plus d’improvisation et de concept.

CLH: Qu’est-ce qui rassemble les improvisateur·ices et qu’est-ce qui les divise.

Fred: La liberté qu’offre l’ÉMIQ, ce désir de s’exprimer dans la spontanéité, entre créateur·ices de tout acabit nous rassemble.
Avec l’ÉMIQ nous somme libre d’aller jouer ou pas, on pourrait dire que ce qui nous divise, ce sont nos horaires ou juste si ça nous tente pas de jouer un soir?
Avec l’ÉMIQ je ne sens pas trop de divisions.
Avec d’autres ensembles, peut-être que les choix d’esthétique ou les façon d’improviser, divise les joueur·euses.
Certains ne jouent qu’avec ceux qui connaissent extrêmement bien le langage jazz, d’autres ne jouent qu’avec les bruitistes et ainsi de suite.

CLH: Quel est ton bruit ou son favori?

Fred: Quand la radio n’arrive pas à syntoniser qu’un seul poste mais en mixe 2 a la fois.
Ça crée de la musique magnifique.

CLH: Ta note favori/une note speciale pour toi

Fred: la „Brown note“

CLH: ton interval favori / un interval special

Fred: l’interval entre 2 silences, un par rapport à l’autre.
Un silence radio et un silence de mort.

LUX


CLH : Quelle est l’identité sonore de l’EMIQ selon toi ?

Lux : Pour moi, qui n’ai pas une grosse formation musicale, c’est une question de liberté, d’écoute et de respect des sons proposés. Il y a quelque chose de très joueur·euses, décomplexé. Ce n’est pas snob, donc très ouvert. Tu peux faire partie de la musique même si tu n’es pas un grand musicien·nes, tant que tu écoutes, que tu respectes, que tu ne veux pas briller plus que les autres. Rémy parle souvent de vibe — je trouve que c’est exactement ça : respect, joie, écoute.

CLH : C’est un collectif ? Une communauté ?

Lux : C’est un ensemble, mais aussi un peu tout ça. Des gens de divers horizons qui se rassemblent par amour pour la musique improvisée. Pour la plupart, ce n’est pas une carrière, c’est une passion. L’impro est encore jeune à Québec. Et les décisions, c’est très organique, pas de hiérarchie stricte.

CLH : Et l’organisation derrière tout ça ?

Lux : Il y a l’organisme Musique Pas d’Air — jeu de mots, bien sûr — qui regroupe les artistes autour de l’EMIQ. C’est un peu underground. Rémy fait beaucoup, mais chacun contribue. Moi, je viens d’intégrer Musique Pas d’Air, mais je joue avec l’EMIQ depuis deux ou trois ans.

CLH : Québec a-t-elle un son particulier pour toi ?

Lux : Oui, c’est un poème urbain. Des bruits de machines, de vitres qui cassent, de construction constante. Il y a cette sensation de mouvement, de création/déconstruction continue.

CLH : Et la géographie de la ville ? Le fleuve, la forme ?

Lux : Oui, Québec est comme une bulle. Pas complètement fermée, mais enveloppée. Ça influence l’énergie. C’est un point de passage : les musicien·nes arrêtent ici entre Montréal et Toronto, ou en revenant d’Europe. Musique Pas d’Air offre même l’hébergement parfois — c’est très punk, autogéré, chaleureux.

CLH : Est-ce que l’activité de l’EMIQ est importante pour Québec ?

Lux : Je ne pense pas que la ville en soit consciente. C’est encore marginal. Mais pour ceux qui participent, c’est vital. Et ça commence à s’imprimer, doucement. Québec est conservatrice au niveau culturel, mais ça change. On atteint plus de monde en croisant les genres, en intégrant poésie, danse, etc. C’est une passerelle.

CLH : Et le public ?

Lux : Très restreint, souvent un cercle d’initié·es. Mais ça pousse vite. Il y a un engouement naissant. Il faut amener les gens avec ce qu’ils connaissent, pour leur faire découvrir l’impro.

CLH : Quel rapport vois-tu entre musique improvisée et liberté ?

Lux : L’EMIQ est conduit de façon très libre. Hier, c’était une première (pour moi) d’avoir une direction comme un chef·fes d’orchestre. Normalement, c’est le chaos, le jeu. Il y a une liberté dans ce chaos. Un objectif atteint sans en être conscient. C’est enfantin, mais pas immature — c’est libre.

CLH : Si tu devais supprimer un des mots : composition, concept, improvisation ?

Lux : Composition.

CLH : Qu’est-ce qui rassemble les improvisateur·ices·ices ?

Lux : Le besoin de briser l’isolement. Jouer ensemble, c’est sortir de sa bulle, créer une énergie commune, sans jugement. On se prend comme on est, égal à égal.

CLH : Et ce qui peut diviser ?

Lux : Peut-être la pensée. Quand on commence à trop penser, à se comparer, on se déconnecte. Mais quand ça marche, on est juste dans l’émotion, dans la résonance. Il n’y a plus de séparation.

CLH : Ton son favori ?

Lux : L’instant juste entre le bruit intense et le silence. Ce moment où tout s’arrête, mais ça résonne encore. C’est ça qui me fait flotter.

CLH : Une note spéciale ?

Lux : Mi.

CLH : Un intervalle préféré ?

Lux : Do–Mi–Sol. L’accord majeur de base. Sur le piano, c’est simple mais fort.

Rémy Bélanger de Beauport

https://remybelangerdebeauport.com

CLH : Quelle sonorité ou image sonore y a-t-il dans l’EMIQ ?

Rémy : Les masses sonores et les interruptions précises. Je joue aussi avec le GGRIL, l’Ensemble SuperMusique, j’ai joué avec BerIO, ONCEIM… mais l’EMIQ, c’est particulier : on plonge dans une masse orchestrale que d’autres groupes évitent. On est aussi hyper réactif·ives, capables d’attaquer toustes en même temps avec une précision unique.

CLH : Sur un enregistrement, tu reconnaîtrais l’EMIQ ?

Rémy : Non. Et c’est très bien comme ça. On ne cherche pas une identité sonore fixe. L’important, c’est que ça existe, que ça se passe.

CLH : C’est une approche artistique en soi, juste le fait d’être là ?

Rémy : Oui, parce qu’avant l’EMIQ, cette communauté-là n’existait pas. Même si l’EMIQ jouait mal, ça resterait une démarche artistique, celle de créer une communauté, c’est de l’art. Et bien sûr, quand je dirige, ça me ressemble : des masses, des angles, Stockhausen, Xenakis. Et quand d’autres prennent la direction, ça change complètement.

CLH : C’est un collectif ?

Rémy : Non. l’EMIQ, c’est mon orchestre. Je fais tout : administration, affiches, interviews, direction, ramasser les bières renversées. C’est un projet personnel qui crée une communauté. Par contre, Musique pas d’air, l’organisme derrière toute l’organisation de musique improvisée à Québec, c’est un collectif, nous sommes 6 personnes. Mais pour l’EMIQ, c’est moi qui décide.

CLH : Y a-t-il un son typique de Québec ?

Rémy : Pas un son, mais un contexte. Québec est imprégnée d’art performance : des actions absurdes, du feu, des performances bruitistes. Ça influence forcément la musique improvisée. Et c’est aussi la seule scène d’improvisation que je connaisse où il y a autant de personnes queer.

CLH : Et la géographie ?

Rémy : Québec est une ville hostile à l’art. La majorité habite en banlieue, travaille, regarde la télé. Le centre-ville, c’est une bulle. Mais il y a une scène de sous-culture forte, qui existe malgré tout.

CLH : L’EMIQ est-il important pour la ville ?

Rémy : Pour la grande ville de Québec? Non. Pour notre scène, oui. L’EMIQ crée une occasion de se voir, de parler, de créer ensemble. À Québec, les cercles artistiques sont comme fermés : il y a du théâtre, du cirque, des arts visuels et pourtant, on se croise rarement entre les disciplines, on n’est pas au courant des activités des autres. Dans les années ’90, un journal listait tous les évènements sur la même page, mais Facebook a pris le relais, le journal est disparu, et maintenant Facebook est obsolète et il ne reste rien. Musique pas d’air maintient un agenda pour toute la musique nouvelle à Québec, mais les autres scènes m’échappent.

CLH : Le public est différent d’ailleurs ?

Rémy : Pas tant. Un public de musique improvisée, c’est toujours un mélange : jeunes, vieux, universitaires, marginaux. Mais c’est trop blanc à Québec. Ma ville si blanche dans les années ’90 a beaucoup changé, pour le mieux avec toute une diversité culturelle, mais la musique — improvisée, mais aussi classique, rock, etc. — n’a pas suivi le changement. J’ai travaillé pour la parité hommes-femmes dans l’EMIQ, et ça a marché. Pour la diversité culturelle, dans notre public comme dans l’orchestre, je pense que je sais ce qu’il faut faire, mais je n’en ai pas l’énergie pour l’instant.

CLH : Quel est le rapport entre liberté et musique improvisée ?

Rémy : Dans l’EMIQ, chacun peut apporter son propre truc, mais ça reste collectif. Liberté = responsabilité. Chaque musicien·nes est responsable du son de l’ensemble et on sent cette liberté-responsabilité très fort.

CLH : Un terme à supprimer entre composition, concept, improvisation ?

Rémy : Composition.

CLH : Qu’est-ce qui rassemble et divise les improvisateur·ices ?

Rémy : Ce qui les rassemble : le besoin de ne pas être seuls. Ce qui les divise : le syndrome de l’imposteur. Tout le monde doute de sa légitimité à être là.

CLH : Ton son préféré ?

Rémy : La lampe au sodium dans un stationnement souterrain. Ce bourdonnement jaune… ghzhzhzhzhzh.

CLH : Une note spéciale ?

Rémy : Fa dièse. Sur mon violoncelle, elle sonne plus fort que les autres. Et à la guitare, deux cordes ouvertes par dessus un power chord sur F# est l’accord grunge par excellence.

CLH : Un intervalle ?

Rémy : La seconde majeure. Ça frotte bien. La mineure, c’est trop cliché « film d’horreur ». La majeure reste neutre, statique, suspendue.